Biographie
Poète, nouvelliste, romancière et traductrice née en Haïti, Marie-Célie Agnant est l’auteure d’une œuvre remarquable, entre autres du Livre d’Emma, qui évoque les épreuves qu’ont endurées les femmes esclaves dans les Antilles et la difficulté d’aborder et de légitimer ce pan de l’histoire encore aujourd’hui. Elle publie aussi des ouvrages destinés aux jeunes.
Son écriture porte à la fois le sceau de la poésie et de la violence issue des sociétés postcoloniales qui naviguent entre misère criante et opulence indécente. Ses textes, dont certains ont été traduits en plusieurs langues, abordent des thèmes tels l’exclusion, la solitude, le racisme, l’exil. La condition des femmes, le rapport au passé et à la mémoire font aussi partie de son champ d’exploration.
Elle a publié plusieurs romans et recueils de nouvelles ainsi que trois recueils de poèmes parmi lesquels Femmes des terres brûlées, pour lequel elle a reçu en 2017 le Prix Alain-Grandbois de l’Académie des Lettres du Québec.
Ailleurs sur le web : http://ile-en-ile.org/agnant
Entrevue
Du plus loin que je me souvienne, oui, nous étions dès les premières années du primaire initiés à la poésie. Nous devions lire et surtout apprendre par cœur poèmes et fables, qui devenaient plus complexes à mesure que nous cheminions. Je ne peux me rappeler des textes de l’enfance, mais j’ai encore en mémoire les fables, celles de La Fontaine, par exemple, qui me bouleversaient souvent. Dès l’entrée au secondaire, à 12 ans, nous apprenions la littérature française, et commencions, si ma mémoire est bonne, avec l’étude des troubadours, des trouvères. De ces années me sont restées les impressions de contes de fées que suscitait par exemple l’étude de la vie et de l’œuvre d’un poète tel que François Villon, surnommé le poète voleur, Joachim du Bellay, et ce poème inoubliable, dit « Les regrets », dont le titre a été souvent confondu avec le tout premier vers : « Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage ». Je me souviens également de la « Consolation à Monsieur du Perrier », texte de Malherbes, que j’ai longtemps attribué à Ronsard.
La poésie a depuis toujours été présente dans ma vie parce qu’il s’agit selon moi de ce regard que l’on porte sur le monde et du besoin de l’exprimer, de l’offrir en partage. Durant toute mon adolescence, j’ai écrit de la poésie, dans une quête de beauté et de consolation. J’ai vécu jusqu’à l’âge de 16 ans dans un pays bâillonné, garrotté par la peur, sous une dictature abominable. Les livres ont été pour moi un refuge. J’ai toujours beaucoup lu et l’écriture a suivi. J’avais besoin, je pense, de reproduire, de prolonger en quelque sorte cette vie, cette beauté qui s’offrait à moi dans les livres. Besoin de paroles également. J’ai donc commencé dès l’âge de 13 ans à écrire de la poésie, ces textes assurément sans grande importance, mais qui font beaucoup de bien. Au Québec, je me suis mise à écrire pour ainsi dire assidument et à publier occasionnellement dans des revues, mais surtout à dire mes textes. Pendant longtemps, j’ai été membre de plusieurs collectifs et groupes de solidarité. J’écrivais des textes que je lisais dans les soirées de solidarité pour le Chili, alors sous la coupe de Pinochet, El Salvador et le Guatémala, qui vivaient en ces années-là des périodes d’instabilité et de répression sans commune mesure. Le Nicaragua, lui aussi, était dans ses années de lutte contre la dictature de Somoza. Sans oublier l’Afrique du Sud, également en lutte contre l’Apartheid. C’était une époque… pleine de promesses. Je me retrouvais dans toutes ces luttes. Un de mes premiers textes écrit à Montréal et publié dans mon premier recueil, Balafres, est un hommage aux enfants de Soweto et à Nelson Mandela. Je me dis souvent que ma vocation d’écrivaine et de poète est née de ces années-là, ces années où j’ai fait miennes les paroles du poète Gabriel Celaya dans « La poesia una arma cargada de futuro » : « Maldigo la poesia concebida como un lujo cultural por los neutrales ». La poésie m’est devenue, ainsi qu’il le dit : « nécessaire comme le pain quotidien ».
Un poète à mon avis n’est pas un simple magicien qui passerait son temps à agencer des mots et à essayer de trouver la combinaison la plus audacieuse ou farfelue. Un poète doit aussi être utile et son utilité, c’est de questionner, de dire les choses telles qu’elles sont, de protester, de s’indigner, de joindre sa voix au monde. Je crois que, lorsque l’on décide de parler, il faut que notre parole ait un sens, une portée. Le poète est aussi un artiste, il a une vision du monde, une vision de la beauté qu’il se charge de communiquer. Selon moi, il ne s’agit pas à proprement parler d’un travail mais plutôt d’un besoin, d’un désir.
La poésie vient souvent à moi sous forme d’images, ou au cours d’une rêverie. Elle agit ainsi à la manière des nouvelles, des courts récits.
En écrivant « Poème de ma mère », j’ai pensé à la vie de celle qui m’a mise au monde, une vie qui a été très difficile. J’ai souvent comparé ma mère à un oiseau qui traînait une aile cassée. Elle m’a toujours paru fragile, sans défense face aux assauts de l’existence. C’est cette fragilité que j’ai voulu exprimer dans ce poème.
Je choisirais « Beat! Beat! Drums! » de Walt Whitman, pour son rythme, cet élément sans lequel le poème n’existe pas et pour cette idée de grand dérangement qu’il suggère.